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Les crimes de l'amour est une oeuvre écrite par Le Marquis de Sade. On parle des délices de l'amour. Sade choisit d'en évoquer les crimes. L'amour devenu passion brûle tout ce qui n'est pas lui. La passion de Sade, dans ces nouvelles, est une passion incestueuse. M. de Franval aime, à la folie, sa fille Eugénie. La malheureuse Florville, après avoir été séduite par son frère, sera aimée de son propre fils et épousée par son père. L'inceste, c'est l'amour absolu, l'amant se double d'un père. L'inceste est aussi la contestation absolue. Le Marquis de Sade est un révolutionnaire qui renie l'ordre social et religieux du XVIIIe siècle. L'inceste, enfin, est le repli suprême sur sa propre famille et sur soi-même. Le style de ces nouvelles est admirable. L'action en est mouvementée, sanglante. Le clair-obscur de chaque être, Sade, l'a mis à nu avec génie.
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NOUVELLE HISTORIQUE
IDÉE : SUR LES ROMANS
L'AUTEUR DES CRIMES DE L'AMOUR À VILLETERQUE FOLLICULAIRE[
LE MARQUIS DE SADE I L'HOMME
LE MARQUIS DE SADE I SES ÉCRITS
SECTION des PIQUES DISCOURS
La paix de Cateau-Cambresis n'eut pas plutôt rendu à la France, en , tranquillité dont une multitude innombrable d'ennemis la privait depuis près de trente ans, que des dissensions intestines plus dangereuses que la guerre, vinrent achever de troubler son sein.
La diversité des cultes qui y régnait, la jalousie, l'ambition de la trop grande quantité de héros qui y florissait, la faiblesse du2 gouvernement, la mort de Henri II, la débilité de François II, toutes ces causes enfin n'étaient que trop capables de faire présumer, que si les ennemis laissaient respirer la France, elle allumerait bientôt elle-même un incendie intérieur, aussi fatal que les troubles qui venaient de la déchirer au dehors.
Philippe II, roi d'Espagne, avait envie de la paix; ne se souciant point de traiter avec les Guise, il se prêta aux arrangements relatifs à la rançon du connétable de Montmorency, qu'il avait fait prisonnier à la journée de Saint-Quentin, afin que ce premier officier de la couronne pût travailler avec Henri II à une paix désirée de toutes les puissances.
Le duc de Guise et le Connétable se trouvant donc prêts à lutter de crédit et de considération, désirèrent avant que d'employer leurs forces, de les étayer par des alliances qui les consolidassent.
Du fond de sa prison, le Connétable agissant dans ces vues, avait marié Damville, son second fils, avec Antoinette de la Mark, petite fille de la célèbre Diane de Poitiers, pour lors duchesse de Valentinois, dirigeant tout à la cour de Henri son amant.
De leur côté, les Guise conclurent dans le même dessein le mariage de Charles III, duc de Lorraine, et chef de leur maison, avec madame Claude, seconde fille du roi[.
Henri II désirait la paix pour le moins avec autant d'ardeur que le roi d'Espagne. Prince somptueux et galant, ennuyé de guerres, craignant les Guise, voulant ravoir le Connétable qu'il chérissait, et changer enfin les lauriers incertains de Mars, contre les guirlandes de myrthes et de roses dont il aimait à couronner Diane, il mit tout en œuvre pour presser les négociations: elles se conclurent.
Antoine de Bourbon, roi de Navarre, n'avait pu obtenir d'envoyer, en son nom, des ministres au congrès; ceux qu'il avait députés avaient été obligés, pour être entendus, de prendre des commissions du roi de France; Antoine ne se consolait pas de cet affront: c'était le Connétable qui avait fait la paix, il arrivait triomphant à la cour, il y venait avec l'intention de se ressaisir des rênes du gouvernement; les Guise l'accusaient d'avoir pressé des négociations qui brisaient, à la vérité, ses fers, mais dont il s'en fallait bien que la France eût à se louer.
Tels étaient les principaux personnages de la scène, tels étaient les motifs secrets qui les animant les uns et les autres, allumaient sourdement les étincelles de haines qui allaient produire les affreuses catastrophes d'Amboise.
On le voit, l'envie, l'ambition, voilà les causes réelles des troubles dont l'intérêt de Dieu ne fut que le prétexte.
Ô religion! à quelque point que les hommes te respectent, lorsque tant d'horreurs émanent de toi, ne peut-on pas un moment soupçonner que tu n'es parmi nous que le5 manteau sous lequel s'enveloppe la discorde, quand elle veut distiller ses venins sur la terre. Eh! s'il existe un Dieu, qu'importe la façon dont les hommes l'adorent! sont-ce des vertus ou des cérémonies qu'il exige? S'il ne veut de nous que des cœurs purs, peut-il être honoré plutôt par un culte que par l'autre, quand l'adoption du premier au lieu du second doit coûter tant de crimes aux hommes?
Rien n'égalait pour lors l'étonnant progrès des réformes de Luther et de Calvin: les désordres de la cour de Rome, son intempérance, son ambition, son avarice avaient contraint ces deux illustres sectaires à montrer à l'Europe surprise, combien de fourberies, d'artifices, et d'indignes fraudes se trouvaient au sein d'une religion que l'on supposait venir du Ciel. Tout le monde ouvrait les yeux, et la moitié de la France avait déjà secoué le joug romain pour adorer l'Être Suprême, non comme osaient le dire des hommes pervers et corrompus, mais comme paraissait l'enseigner la nature.
La paix conclue, et les puissants rivaux dont on vient de parler n'ayant plus d'autre6 soins que de s'envier et de se détruire, on ne manqua pas d'appeler le culte au secours de la vengeance, et d'armer les mains dangereuses de la haine, du glaive sacré de la religion.
Le prince de Condé soutenait le parti des réformés dans le cœur de la France; Antoine de Bourbon, son frère, le protégeait dans le Midi; le Connétable déjà vieux s'expliquait faiblement, mais les Châtillon ses neveux, agissaient avec moins de contrainte. Très-bien avec Catherine de Médicis, on eut même lieu de croire dans la suite qu'ils l'avaient fort adoucie sur les opinions des réformés, et qu'il s'en fallait peu que cette reine ne les adoptât au fond de son âme.
Quant aux Guise, tenant à la cour, ils en favorisaient la croyance, et le cardinal de Lorraine, frère du duc pouvait-il, lié au saint-siège, n'en pas étayer les droits?
Dans cet état de chose n'osant encore se déchirer soi-même, on se prenait aux branches, on attaquait mutuellement les créatures du parti opposé, et pour satisfaire ses passions particulières on immolait toujours quelques victimes.
Henri II vivait encore: on lui fit voir qu'il s'en fallait bien que le parlement fût en état de juger les affaires des réformés condamnés à mort par l'édit d'Ecouen, puisque la plupart des membres de cette compagnie étaient du parti qui déplaisait à la cour.
Le roi se transporte au palais, il voit qu'on ne lui en impose point; les conseillers Dufaur, Dubourg, Fumée, Laporte, et de Foix sont arrêtés, le reste s'évade. Rome aigrit au lieu d'apaiser; la France est pleine d'inquisiteurs; le cardinal de Lorraine organe du Pape, hâte la condamnation des coupables; Dubourg perd la tête sur un échafaud; de ce moment tout s'émeut, tout s'enflamme.
Henri meurt; la France n'est plus conduite que par une italienne peu aimée, par des étrangers qu'on déteste, et par un monarque infirme, à peine âgé de seize ans: les ennemis des Guise croyent toucher à l'instant du triomphe; la haine, l'ambition et l'envie toujours à l'ombre des autels, se flattent d'agir en assurance. Le Connétable, la duchesse de Valentinois sont bientôt éloi8gnés de la cour; le duc, le cardinal sont mis à la tête de tout; et les furies viennent secouer leurs couleuvres sur ce malheureux pays à peine relevé d'une guerre opiniâtre, où ses armées et ses finances avaient été presque entièrement épuisées.
Tel affreux que soit ce tableau, il était nécessaire à tracer avant que d'offrir le trait dont il s'agit. Avant que de dresser les potences d'Amboise, il fallait montrer les causes qui les élevaient... il fallait faire voir quelles mains les arrosaient de sang, de quels prétextes osaient se couvrir enfin les instigateurs de ces troubles.
Tout était encore à Blois dans la plus parfaite sécurité, lorsqu'une multitude d'avis différents vint réveiller l'attention des Guise.
Un courrier chargé de dépêches secrètes et relatives aux circonstances, est assassiné près des portes de Blois; un autre venant de l'inquisition, adressé au cardinal de Lorraine, éprouve à peu près le même sort; l'Espagne, les Pays-Bas, plusieurs cours d'Allemagne avertissent la France qu'il se trame une conspiration dans son sein; le duc de Savoie9 prévient que les réfugiés de ses états font de fréquentes assemblées, qu'il se munissent d'armes, de chevaux, et publient hautement qu'avant peu et leurs personnes et leur culte seront rétablis en France.
En effet, la Renaudie, l'un des chefs protestants le plus brave et le plus animé, se donnait alors un mouvement qui devait faire ouvrir les yeux: il parcourait l'Europe entière, prenant des avis, en donnant, enflammant les têtes et se disant certain d'une révolution prochaine. De retour à Lyon, il rendit compte aux autres chefs des succès de son voyage, et ce fut là que se prirent les dernières mesures, là que l'on convint de tout mettre en ordre pour commencer les opérations au printemps.
On choisit Nantes pour ville d'assemblée, et sitôt que tout le monde y fut rendu, la Renaudie, dans la maison de la Garai, gentilhomme Breton, harangua ses frères et reçut d'eux les protestations authentiques de tout entreprendre pour obtenir du roi le libre exercice de leur religion, ou d'exterminer ceux qui s'y opposeraient, à commencer par les Guise.
On régla dans cette même assemblée, que la Renaudie lèverait au nom du chef qui ne se nommait point, un corps de troupes composé de cinq cents gentilshommes à cheval et de douze cents hommes d'infanterie pris dans toutes les provinces de France, non pour attaquer, mais pour se défendre. Trente capitaines furent attachés à ce corps, dont les ordres étaient de se trouver aux environs de Blois, le de mars prochain ; les provinces se départirent ensuite.
Le baron de Castelnau, l'un des plus illustres de la faction et dont nous allons raconter les aventures, eut pour son département la Gascogne; Mazères, le Béarn; Mesmi, le Périgord et le Limousin; Maille-Brézé, le Poitou; Mirebeau, la Saintonge; Coqueville, la Picardie; Ferriere-Maligni, la Champagne, la Brie et l'Ile-de-France; Mouvans la Provence et le Dauphiné, et Château-Neuf, le Languedoc.
Nous citons ces noms, pour faire voir quels étaient les chefs de cette entreprise, et les rapides progrès de cette réforme qu'on avait l'inepte barbarie de croire digne des mêmes supplices que le meurtre ou le parricide, tant l'intolérance était à la mode pour lors.
Quoi qu'il en fût, tout se tramait avec tant de mystère, ou les Guise étaient si mal informés, que malgré les avis qu'ils recevaient de toutes parts ils étaient au moment d'être surpris dans Blois, et ils allaient l'être assurément, sans une trahison.
Pierre des Avenelles, avocat, chez qui la Renaudie était venu se loger à Paris quoique protestant lui-même, dévoila tout au duc de Guise. On frémit.
Le chancelier Olivier reprocha aux deux frères une sécurité dans laquelle ils n'eussent pas été, si l'on avait écouté ses conseils. Catherine trembla, et dès l'instant on quitta Blois, dont la position ne paraissait pas assez sûre, pour se rendre au château d'Amboise, qui, jadis une place du premier ordre, parut suffisant pour mettre la cour à l'abri d'un coup de main.
Une fois là, l'on tint conseil; l'on fit ce que Charles XII de Suède disait d'Auguste, roi de Pologne, qui, pouvant le prendre, l'avait manqué et avait aussitôt assemblé son conseil. «Il délibère aujourd'hui, disait Charles, sur ce qu'il aurait dû faire hier.»
Il en fut de même à Amboise. Le cardinal, en zélé papiste, prétendait tout exterminer. C'était le seul argument de Rome.
Le duc, plus politique, crut qu'on perdrait beaucoup de monde en suivant l'avis de son frère et qu'on ne découvrirait rien. Il valait mieux, selon lui, faire arrêter le plus de chefs qu'on pourrait, et obtenir d'eux, par l'aspect des tourments, l'aveu de tant de manœuvres sourdes et mystérieuses, dont il était plus essentiel de dévoiler les causes et les auteurs, que d'égorger sans les entendre, ceux qui soutenaient les unes et qui servaient les autres.
Cet avis prévalut. Catherine créa sur-le-champ le duc de Guise lieutenant-général de France, malgré l'opposition du chancelier, qui, trop sage pour ne pas entrevoir le danger d'une autorité si étendue, ne voulut sceller les patentes, qu'aux conditions qu'elles seraient circonscrites au seul instant des troubles.
Le duc de Guise redoutait les Chatillon; il y avait tout à craindre pour le parti du roi, s'ils étaient malheureusement à la tête des protestants. Sachant ces neveux du con13nétable bien avec la reine, il engagea Catherine à les sonder. L'amiral de Coligni ne déguisa point les risques qu'il y avait, si l'on continuait d'employer avec les religionnaires la rigueur dont faisaient usage les Guise; il dit «que l'on devait savoir que les supplices et la voie des contraintes étaient plus propres à révolter les esprits, qu'à les ramener dans le droit chemin; que l'on pouvait, au surplus, compter assurément sur ses frères, et qu'il répondait à la reine, qu'eux et lui, seraient, dans tous les temps, prêts à donner au souverain les plus grandes preuves de leur zèle.»
À ces témoignages satisfaisants, il joignit le conseil d'un édit qui tolérerait la liberté de conscience; il assura que ce serait le seul moyen de tout calmer. Cet avis passa: l'édit fut publié; il accordait une amnistie générale à tous les réformés, excepté à ceux qui, sous le prétexte de religion, conspireraient contre le gouvernement.
Mais tout cela venait trop tard. Dès le de mars, les religionnaires s'étaient assemblés à très peu de distance de Blois. Ne trouvant plus la cour où ils la croyaient, ils14 comprirent aisément qu'ils étaient trahis; cependant les préparatifs étaient faits; les différents corps attendus ne jugeant pas à propos de reculer, ils ne voulurent même admettre d'autres délais à l'entreprise, que le peu de jours qu'il fallait pour s'approcher d'Amboise et pour en reconnaître les environs.
Condé venait d'arriver dans cette ville; il lui avait été facile de voir, en y entrant, qu'il était vivement soupçonné; il crut se déguiser par des propos dont on ne fut pas dupe. Il affecta de paraître plus empressé que qui que ce fût, à l'extinction des protestants, et par cette ruse peu naturelle, il ne satisfit nullement le parti du roi, et se fit soupçonner par le sien.
Cependant les dispositions du parti opposé continuaient de se faire avec vigueur. Le baron de Castelnau-Chalosse s'approchant du coté de Tours avec les troupes de la province qui lui étaient départie, avait près de lui deux personnages, dont il est temps de donner l'idée.
L'un était Raunai, jeune héros, d'une figure charmante, plein d'esprit, d'ardeur15 et de zèle; il commandait sous le baron; l'autre était la fille de ce premier chef, dont Raunai, depuis l'enfance, était éperdument amoureux.
Juliette de Castelnau, âgée de vingt ans, était l'image de Bellone; grande, faite comme les Grâces, les traits nobles, les plus beaux cheveux bruns, de grands yeux noirs pleins d'éloquence et de vivacité, la démarche fière, rompant une lance au besoin comme le plus brave guerrier de la nation, se servant de toutes les armes en usage alors avec autant de dextérité que de souplesse; bravant les saisons, affrontant les dangers, courageuse, spirituelle, entreprenante, d'un caractère altier, ferme mais franc, incapable de fraude, et d'un zèle au-dessus de tout pour la religion protestante, c'est-à-dire, pour celle de son père et de son amant.
Cette héroïne n'avait jamais voulu se séparer de deux objets si chers; et le baron, lui connaissant de l'adresse, une intelligence infinie, persuadé qu'elle pourrait devenir utile aux opérations, avait consenti à lui en voir partager les risques. Ne devait-il pas, d'ailleurs être bien plus sûr de Raunai, quand ce16 jeune guerrier, combattant aux yeux de sa maîtresse, aurait pour récompense les lauriers que cette belle fille lui préparerait chaque jour?
Dans le dessein de reconnaître les environs, Castelnau, Juliette et Raunai s'étaient avancés un matin, suivis de très peu de gens de guerre, jusque dans l'un des faubourgs de la ville de Tours.
Le comte de Sancerre, détaché d'Amboise, venait de battre ces quartiers, lorsqu'on lui dit que quelques protestants se trouvent près de là.
Il vole au faubourg indiqué, et pénétrant à la hâte dans l'appartement du baron, il lui demande ce qu'il vient faire dans cette ville... la raison qui l'y amène avec des soldats, et s'il ignore que le port d'armes est défendu?
Castelnau répond qu'il va à la cour pour des affaires dont il n'a nul compte à rendre, et que s'il était vrai que quelques motifs de rébellion l'y conduisissent, il n'aurait pas sa fille avec lui.
Sancerre, peu satisfait de cette réponse, est obligé d'exécuter ses ordres. Il commande à ses soldats d'arrêter le baron; mais celui-ci sautant sur ses armes, seulement aidé de Juliette et de Raunai, a bientôt écarté le peu de monde que lui oppose le comte. Tous trois s'évadent; et Sancerre ayant, dans ce cas-ci, préféré la sagesse et la prudence à la valeur qui le distinguait ordinairement, Sancerre, qui sait que dans des troubles intérieurs, la victoire appartient plutôt à celui qui épargne le sang qu'à l'imprudent qui le prodigue, revient sans honte dans Amboise, rendre compte aux Guise de son peu de succès.
Sancerre, vieil officier, plein de mérite, ami des Guise, mais franc, loyal, ce qu'on appelle un véritable Français, n'avait pourtant pas été assez occupé de son expédition, qu'il n'eût eu le temps d'apercevoir les attraits de Juliette; il en fit les plus grands éloges au duc.
Après avoir peint la noblesse de sa taille et les agréments de sa figure, il la loua sur son courage; il l'avait vue au milieu du feu se défendre, attaquer, n'évitant les dangers qui la menacent que pour en répandre autour d'elle, et cette vaillance peu commune, rendait assurément du plus grand intérêt celle qui18 joignait à toutes les grâces de son sexe, des vertus qui s'y alliaient aussi rarement.
Monsieur de Guise, curieux de voir cette femme étonnante, conçut aussitôt deux projets pour l'attirer à Amboise: la faire prisonnière, ou profiter de l'ouverture du baron de Castelnau, et lui faire dire que puisqu'il avait assuré Sancerre qu'il n'avait d'autre intention que de parler au roi, il pouvait venir en toute sûreté.
Ce dernier parti s'adopte de préférence.
Le duc écrit. Un homme adroit est chargé de la dépêche; précédé d'un trompette, il s'avance avec les formalités ordinaires, et remet sa missive au baron, dans le château de Noisai où il était logé avec les troupes de Gascogne et de Béarn, mandées pour l'expédition d'Amboise.
Quelques précautions qu'on eût prises avec l'émissaire du duc, il fut facile à celui-ci de s'apercevoir qu'il y avait beaucoup de monde à Noisai; il en rendit compte à son retour, et nous verrons bientôt ce qui en résulta.
Le baron de Castelnau résolu de profiter de la proposition du duc, tant pour déguiser19 ses projets que pour se ménager en agissant comme il allait le faire, une correspondance sûre dans Amboise, répondit très-honnêtement que la plus grande preuve qu'il pût donner de son obéissance et de sa soumission, était d'envoyer ce qu'il avait de plus cher au monde; qu'étant, lui personnellement, dans l'impossibilité de se rendre à Amboise, à cause d'une blessure qu'il avait reçue à l'escarmouche de Tours, il envoyait à la reine, Juliette sa fille, chargée par lui d'un mémoire dans lequel il réclamait l'édit de tolérance qui venait d'être publié, et la permission, pour ses confrères et lui, de professer leur culte en paix.
Juliette partit, munie d'instructions secrètes et de lettres particulières pour le prince de Condé; ce n'était pas sans peine qu'elle avait adopté ce projet: ce qui la séparait de son père et de son amant était toujours si douloureux pour elle que, quelque courageuse qu'elle fût, elle ne s'y résolvait jamais sans des larmes.
Le baron promit à sa fille d'attaquer quatre jours après la ville d'Amboise, si les négociations qu'elle allait entreprendre20 étaient infructueuses; et Raunai, aux genoux de sa maîtresse, lui jura de verser tout son sang pour elle, si on lui manquait de respect ou de fidélité.
Mademoiselle de Castelnau arrive à Amboise; elle y est reçue convenablement, et descendue chez Sancerre, ainsi qu'il avait été convenu, elle se fait aussitôt conduire chez le duc de Guise, le supplie de tenir sa parole, et de lui fournir sur-le-champ l'occasion de se jeter aux pieds de Catherine de Médicis, pour lui présenter les supplications de son père.
Mais Juliette ne pensait pas qu'elle possédait des charmes qui pouvaient faire négliger bien des engagements.
Le premier que monsieur de Guise oublia en la voyant, fut la promesse contenue dans ses dépêches au baron; séduit par tant de grâces, son cœur s'ouvrit aux pièges de l'amour, et le duc, auprès de Juliette, ne pensa plus qu'à l'adorer.
Il lui reprocha d'abord avec douceur de s'être défendue contre les troupes du roi, et lui dit agréablement que quand on était21 aussi sûre de vaincre, on était doublement punissable du projet de rébellion.
Juliette rougit; elle assura le duc qu'il s'en fallait bien que son père et elle eussent jamais pris les armes les premiers; mais qu'elle croyait qu'il était permis à tout le monde de se défendre quand on était injustement attaqué. Elle renouvela ses plus vives instances pour obtenir la permission d'être présentée à la reine.
Le duc qui voulait conserver à Amboise le plus longtemps possible, l'objet touchant de sa nouvelle flamme, lui dit que cela serait difficile de quelques jours.
Juliette qui prévoyait ce qu'allait entreprendre son père, si elle ne réussissait point, insista. Le duc tint ferme et la renvoya chez le comte de Sancerre, en l'assurant qu'il la ferait avertir dès qu'elle pourrait parler à Médicis.
Notre héroïne profita de ces délais pour examiner sourdement la place et pour remettre ses lettres au prince de Condé qui, toujours plus circonspect que jamais dans Amboise, et ne cherchant qu'à s'y déguiser, recommanda à Juliette, pour l'intérêt com22mun, de l'éviter le plus possible et de cacher surtout avec le plus grand soin, qu'elle eût jamais été chargée d'aucunes négociations vis-à-vis de lui.
Juliette comptant sur la parole du duc, fit dire à son père de temporiser. Le baron la crut, et eut tort.
Pendant ce temps, la Renaudie, dont on a vu précédemment le zèle et l'activité, perdit malheureusement la vie dans la forêt de Château-Renaud[. Tout fut trouvé dans les papiers de la Bigne, son secrétaire; et le duc, plus éclairé dès lors sur la réalité des projets du baron de Castelnau, bien convaincu que les démarches de Juliette n'étaient plus qu'un jeu, ayant plus que jamais le dessein de la conserver près de lui, se résolut enfin à23 la faire expliquer et à n'agir pour ou contre le père, qu'en raison de ce que répondrait la fille. Il l'envoie prendre.
—Juliette, lui dit-il d'un air sombre, tout ce qui vient de se passer, me convainc suffisamment que les dispositions de votre père sont bien éloignées d'être telles qu'il vous a plu de me le persuader; les papiers de la Renaudie nous instruisent. À quoi me servirait-il de vous présenter à la reine, et qu'oseriez-vous dire à cette princesse?
—Monsieur le duc, répond Juliette, je n'imaginais pas que la fidélité d'un homme qui a si bien servi sous vos ordres, qui s'est trouvé dans plusieurs combats à vos côtés, et duquel vous devez connaître les sentiments et le courage, pût jamais vous devenir suspecte.
—Les nouvelles opinions ont corrompu les âmes; je ne reconnais plus le cœur des Français; tous ont changé de caractère, en adoptant ces coupables erreurs.
—N'imaginez jamais que pour avoir dégagé votre culte de toutes les inepties dont de vils imposteurs osèrent le souiller, nous en devenions moins susceptibles des vertus qui nous viennent de la nature; la première24 de toutes dans le cœur d'un Français, est l'amour de son pays. On ne la perd pas, monsieur, cette sublime vertu, pour avoir ramené à plus de candeur et de simplicité, la manière de servir l'Eternel.
—Je connais vos sophismes à tous, Juliette; c'est sous ces fausses apparences de vertu que vous déguisez tous les vices les plus à redouter dans un état; et dans ce moment-ci, nous le savons, vous ne prétendez à rien moins qu'à culbuter l'administration actuelle, qu'à couronner l'un de vos chefs, et qu'à bouleverser tout en France.
—Je pardonnerais ces préjugés à votre frère, monsieur; nourri dans le sein d'une religion qui nous déteste, tenant une partie de ses honneurs du chef de cette religion qui nous proscrit, il doit nous juger d'après son cœur..... Mais vous, monsieur le duc, vous qui connaissez les Français, vous qui les avez commandés dans les champs de la gloire, pouvez-vous imaginer que le refus d'admettre telle ou telle opinion, puisse jamais éteindre en eux l'amour de la patrie? Voulez-vous les ramener, ces braves gens, le voulez-vous sincèrement? Montrez-vous25 plus humain et plus juste; usez de votre autorité pour faire des heureux, et non pour verser le sang de ceux dont tout le tort est de penser différemment que vous. Convainquez-nous, monsieur; mais ne nous assassinez pas: que nos ministres puissent raisonner avec vos pasteurs; et le peuple, éclairé par ces discussions, se rendra sans contrainte aux meilleurs arguments. Le plus mauvais de tous est un échafaud; le glaive est l'arme de celui qui a tort, il est la commune ressource de l'ignorance et de la stupidité; il fait des prosélytes, il enflamme le zèle et ne ramène jamais. Sans les édits des Néron, des Dioclétien, la religion chrétienne serait encore ignorée sur la terre; encore une fois, monsieur le duc, nous sommes prêts à quitter les signes de ce que vous appelez la rébellion; mais si c'est avec des bourreaux qu'on veut nous inspirer des opinions absurdes et qui révoltent le bon sens, nous ne nous laisserons pas égorger comme des animaux lancés dans l'arène; nous nous défendrons contre nos persécuteurs; tout en respectant la patrie, nous plaindrons ses chefs de leur aveuglement; et26 toujours prêts à verser notre sang pour elle, quand elle ne verra plus dans nous que des frères, nous n'offrirons plus à ses yeux que des enfants et des soldats[.
Ce discours, prononcé d'une voix ferme et d'un maintien assuré, soutenu des grâces nobles de cette fille intéressante, acheva d'enflammer le duc; mais cherchant à déguiser son trouble sous les apparences d'une rigidité feinte:
—Savez-vous, dit-il à Juliette, que vos discours, votre conduite... mon devoir en un mot, me contraindraient de vous envoyer à la mort? Oubliez-vous, impérieuse créature, qu'il ne tient qu'à moi de sévir?
—Avec la même facilité, monsieur le duc, qu'il ne tient qu'à moi de vous mépriser, si vous abusez de la confiance que vous m'avez inspirée par votre lettre à mon père.
—Il n'y a point de serment sacré avec ceux que l'église réprouve.
—Et vous voulez que nous embrassions27 les sentiments d'une église dont une des premières lois, selon vous, est d'autoriser tous les crimes, en légitimant le parjure?
—Juliette, vous oubliez à qui vous parlez.
—À un étranger, je le sais. Un Français ne m'obligerait pas aux réponses où vous me contraignez.
—Cet étranger est l'oncle de votre roi; il en est le ministre, et vous lui devez tout à ces titres.
—Qu'il en acquiert à mon estime, il ne me reprochera pas de lui manquer.
—J'en désirerais sur votre cœur, dit le duc, en se troublant encore davantage, et réussissant moins à se cacher; il ne tiendrait qu'à vous de me les accorder. Cessez d'envisager dans le duc de Guise, un juge aussi sévère que vous le supposez, Juliette, voyez-y plutôt un amant dévoré du désir de vous plaire et du besoin de vous servir.
—Vous....... m'aimer...... juste ciel! et quelles prétentions pouvez-vous former sur moi, monsieur? Vous êtes enchaîné par les nœuds de l'hymen, et je le suis par les lois de l'amour.
—La seconde difficulté est plus affreuse28 que l'autre; peut-être vous ferais-je bien des sacrifices.... mais vous seriez loin de vouloir m'imiter.
—Monsieur le duc oublie-t-il que je l'ai supplié de me faire parler à la reine, et que ce n'est que dans cette intention que mon père a permis que je vinsse à Amboise?
—Juliette oublie-t-elle que son père est coupable, et que je n'ai qu'un ordre à donner pour qu'il soit aujourd'hui dans les fers?
—Je me retirerai donc, si vous le permettez, monsieur; car je ne suppose pas que vous abusiez du droit des gens, au point de me retenir ici malgré moi, quand je ne m'y suis rendue que sous votre sauf-conduit?
—Non, Juliette, vous êtes libre; il n'y a que moi qui ne le suis pas devant vous... vous êtes libre, Juliette; mais je vous le redis pour la dernière fois..... je vous adore.... je puis tout pour vous.... il ne sera rien que je n'entreprenne.... ou mon amour, ou ma vengeance.... Choisissez.... Je vous laisse à vos réflexions.
Juliette rentra chez le comte de Sancerre; le connaissant pour un brave militaire, incapable d'une lâcheté ou d'une trahison, elle ne lui cacha pas ce qui venait de se passer. Elle surprit infiniment ce général; il devint prêt à se repentir de s'être mêlé de la négociation.
Juliette demanda au comte, si dans une aussi affreuse circonstance, il ne serait pas mieux qu'elle retournât près du baron de Castelnau.